Missak et Mélinée Manouchian
Deux Arméniens au service de la France
Le mois passé, on avait promis un sujet sur le Var au XIXe siècle, mais l'actualité en a décidé autrement. Notre service ayant participé aux recherches documentaires pour deux ouvrages, nous venons tout juste de les recevoir et de les mettre à la disposition de nos lecteurs.
Les deux ouvrages en question retracent la vie de Missak et Mélinée Manouchian, grandes figures de la Résistance. Ils font l'actualité après que le 18 juin 2023, le Président de la République ait annoncé l'entrée du couple au Panthéon en février 2024, à l’occasion du quatre-vingtième anniversaire de l'exécution de Missak.
Qui sont Missak et Mélinée Manouchian ?
Né le 1er septembre 1906 à Adiyaman, dans le sud de l'actuelle Turquie, Missak assiste à l’âge de 9 ans au massacre perpétrés par les Turcs contre le peuple arménien. Avec ses frères, Haik et Garabed, ils sont les seuls survivants de leur famille. À la fin de la guerre, Missak et Garabed sont pris en charge par un orphelinat français au Liban, tandis qu'Haik reste en Syrie. En 1924, les frères se retrouvent à Marseille et Missak et Garabed rejoignent La Seyne-sur-Mer. Embauchés par les FCM, les deux frères habitent dans les baraquements "chinois" situés sur la place de la Lune et seront affectés à la menuiserie des Chantiers qu'ils quitteront le 27 mars 1925 pour Garabed (à sa demande) et le 16 juin 1925 pour Missak (par manque de travail).
Quelques mois plus tard, ils montent tous deux à Paris et retrouvent Haik, mais Garabed décède en 1927 de la tuberculose. Vivant dans la précarité, Missak adhère en 1934 au Parti communiste français puis au HOC (Comité de secours pour l'Arménie). C'est là qu'il se voit confier la rédaction de Zangou, l’hebdomadaire du HOC. Lors d’un bal donné à l’occasion du 13e anniversaire de l’Arménie soviétique en décembre 1934, il y rencontre l’amour de sa vie, Mélinée Assadourian.
Mélinée aussi est d’origine arménienne. Née en 1913 à Constantinople, elle devient orpheline à l'âge 3 ans après que ses parents aient été tués lors du génocide arménien. Accueillie comme une réfugiée en Grèce, elle est placée dans un orphelinat de Corinthe. Fin 1926, elle est déplacée à Marseille pour y poursuivre sa scolarité et trois ans plus tard elle obtient son certificat d’études avec mention. Elle suit une formation de secrétaire comptable et de sténo-dactylographie avant de partir s’installer à Paris. C'est à cette époque qu'elle rejoint le Parti communiste français.
Avec la montée des tensions en Europe et la méfiance envers les communistes étrangers, le couple s’engage de plus en plus au sein du parti.
En 1939, Missak est emprisonné puis enrôlé dans l’armée française de force en raison de son statut d’apatride, malgré deux demandes de naturalisation jamais accordées. En 1940, il est affecté dans diverses usines en France. En 1943, il prend une place importante au sein des Francs-tireurs et partisans - main-d'œuvre immigrée (FTP-MOI) de Paris et mène plusieurs actes de résistance.
Mais le 16 novembre 1943, Missak est arrêté en gare d'Évry Petit-Bourg. Mélinée quant à elle, est cachée par la famille Aznavourian, dont fait partie son amie Knar Aznavourian, la mère du chanteur Charles Aznavour.
C'est dans le contexte de la condamnation à mort des 23 membres du FTP-MOI que l'Affiche Rouge est placardée en France. On retrouve sur cette affiche 10 des membres, dont Missak à la pointe du V.
Le 21 février 1944, Missak est exécuté avec 21 autres résistants au Mont-Valérien. Quant à Mélinée, elle poursuit après la guerre une vie engagée pour les Arméniens et décède le 6 décembre 1989.
Deux ouvrages au style différent pour raconter la vie de ce couple arménien
Le premier ouvrage s’intitule MANOUCHIAN. Missak et Mélinée Manouchian, deux orphelins du génocide des Arméniens engagés dans la Résistance française. Aux éditions Textuel, il est écrit par un collectif d’historiens.
L’intérêt de cet ouvrage réside dans sa volonté de placer le récit sur la vie de Missak et Mélinée dans la longue durée, c’est-à-dire de les lier à l’Histoire. À l'appui de nouvelles recherches dans les archives publiques et privées, dont celles de la famille Manouchian grâce à Katia Guirogassian (voir le second livre), l'ouvrage rectifie certaines imprécisions et erreurs sur la vie du couple, précise la chronologie des événements et met à jour des documents inédits tels que des manuscrits autographes de Missak, de la correspondance, des lettres de condamnés, des papiers officiels et des photographies personnelles.
Avec un caractère scientifique accompagné de sources enrichissantes, on plonge dans l'histoire de Missak et Mélinée Manouchian et plus largement dans celle du génocide arménien et de la Seconde Guerre mondiale.
Le second ouvrage s’intitule Manouchian. Témoignage suivi de poèmes, lettres et documents inédits. Cet ouvrage paru aux éditions Parenthèses se distingue du premier, car, sous l’initiative de Katia Guirogassian petite nièce de Missak et Mélinée, il nous plonge dans la mémoire personnelle du couple. À l’intérieur de ce livre, on retrouve la réédition d’un témoignage écrit par sa grand-tante en 1974 dans lequel elle témoigne de la vie de Missak d'une façon très personnelle, évoquant son caractère et sa manière de se comporter au fil des événements de sa vie. Ce témoignage s'accompagne de documents inédits provenant des archives familiales, comme des poèmes de Missak, de la correspondance et des photographies.
Ces deux ouvrages abordent la vie de Missak et Mélinée Manouchian de façon différente, que ce soit de manière scientifique ou mémorielle, mais se rejoignent pour comprendre la vie de ces deux figures historiques qui vont entrer aux côtés d’autres grands noms de l’Histoire de France au Panthéon le 24 février 2024.